Les actions sociales menées par les différents acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) ne sauraient être appréciées à leur juste valeur sans évaluation de l’impact social desdites actions. CRÉSUS pousse le concept au point d’en impacter durablement son modèle économique.
Le surendettement est l’un des phénomènes économiques et sociaux qui demeure au cœur de la problématique de l’exclusion. CRÉSUS est une association reconnue d’utilité publique, créée il y a 28 ans pour accueillir, informer, accompagner les ménages et les entrepreneurs en situation de surendettement et rechercher des solutions à leurs difficultés financières, sociales, juridiques et psychologiques.
UN GÂCHIS HUMAIN ET FINANCIER D’UNE GRAVITÉ EXCEPTIONNELLE
L’enquête typologique de la Banque de France sur le surendettement en France en 2017 révèle que 181 123 dossiers de surendettement ont été déposés au cours de l’année pour un montant total de près de 7 milliards d’euros et 40 % de ces dossiers ont mené à un plan de redressement sans liquidation, correspondant à un effacement de dettes estimé à 1,8 milliard d’euros . Près de 1 million de ménages sont en cours d’exécution d’un plan de surendettement dont la durée peut atteindre sept années, avec des conséquences irréductibles en termes d’exclusion sociale et financière.
La prévention du surendettement constitue un enjeu fondamental pour l’insertion économique et sociale des citoyens. À l’échelle macroéconomique, un haut niveau d’endettement des ménages est associé, à moyen terme, à une plus grande probabilité de crise financière et de croissance économique ralentie.
ROMPRE AVEC LA SPIRALE DU SURENDETTEMENT ET SES CONSÉQUENCES
Face à la dégradation de l’environnement économique et à l’absence de réponse publique adaptée – malgré plusieurs lois successives visant à réformer le traitement du surendettement –, CRÉSUS s’est engagée, à partir de 2008, à construire une solution coordonnée à cette problématique en y associant les acteurs économiques, sociétés financières et bancaires, sur la base d’une coopération innovante, éthique et responsable, par la création d’une plateforme nationale d’accompagnement et de médiation financière.
Le dispositif a été d’emblée conçu pour optimiser et professionnaliser l’accompagnement budgétaire sur des bases co-construites avec les acteurs économiques, pour expérimenter une médiation coordonnée avec l’ensemble des créanciers et en mesurer en temps réel l’impact social et économique.
CRÉSUS est passée d’une mission curative à une fonction prédictive par la détermination d’indicateurs éprouvés. Pour convaincre les acteurs économiques de s’associer et de financer durablement le projet de prévention, CRÉSUS a développé un outil de mesure d’impact accessible aux partenaires en temps réel, fondé sur des indicateurs quantitatifs et qualitatifs acceptés par l’ensemble des partenaires.
IMPACTS QUANTITATIFS : UNE MESURE SUR L’ÉCONOMIE RÉALISÉE PAR LES PARTENAIRES
Trois variables ont été mobilisées par CRÉSUS pour mesurer l’impact financier de l’innovation sociale :
- le nombre de dossiers de surendettement évités par les prestations d’accompagnement et de médiation ;
- l’impact économique du dossier de surendettement évité pour l’État et les collectivités publiques ;
- l’impact économique par dossier de surendettement évité par les créanciers.
Les mesures scientifiques réalisées pour mesurer l’impact économique moyen d’un dossier de surendettement montrent qu’un dossier de surendettement évité représente une économie de 2 200 euros pour l’État et éviterait en moyenne 16 800 euros de pertes pour les créanciers .
IMPACTS QUALITATIFS : LE FONDEMENT DE L’INTERVENTION DE CRÉSUS
Quatre variables indiscutables ont été retenues pour mesurer l’impact sociétal de CRÉSUS :
- l’impact de la prévention sur la santé des bénéficiaires : baisse de tension, baisse du risque de suicide (trois suicides par jour sont générés par une problématique de fragilité financière), réduction de consommation de médicaments, d’alcool et de drogues ;
- l’impact sur l’épanouissement personnel : nouvelles perspectives de vie (personnelle et professionnelle), amélioration des relations sociales, disparition du sentiment de honte et d’échec, retour à la citoyenneté et à des activités extra-professionnelles ;
- l’impact sur la compréhension budgétaire : accompagnement et initiation à l’environnement bancaire, diminution du risque de rechute (97 % de rétablissements durables constatés après une médiation), meilleure appréhension des problématiques économiques ;
- l’impact sur la situation financière : meilleur calcul du reste à vivre, meilleure tenue du budget, plus grande cohérence du ratio revenus/charges financières, encouragement à la recherche d’emploi.
MESURE D’IMPACT ÉCONOMIQUE ET SOCIAL : UN PUISSANT LEVIER DE CONDUITE DU CHANGEMENT
Au cours des cinq premières années d’expérimentation, le taux d’orientation vers un dossier de surendettement a fortement diminué, témoignant des efforts spécifiques réalisés par CRÉSUS et ses partenaires pour détecter leurs clients fragiles dès les premiers signes de diffi cultés. Dans 58 % des cas, le dossier de surendettement est désormais évité.
Le taux de retour en défaillance constaté est inférieur à 2 % et le taux de redépôt d’un dossier de surendettement accompagné par la plateforme est de 4 % (contre 45 % enregistrés en droit commun en 2016).
En conclusion, il est remarquable de constater que la mesure d’impact joue le rôle d’effet de levier dans la conduite du changement au sein des établissements bancaires et financiers. Ce modèle de co-construction et d’hybridation fondé sur la recherche d’impact a permis de modifier le regard des banques et des établissements financiers sur leurs clients fragiles en les incitant à adopter une attitude proactive et à prescrire en temps réel un accompagnement dès les premiers signes de fragilité (modèle de prévention avec un impact à la fois social et financier), contrairement au modèle traditionnel de traitement curatif des difficultés, intervenant tardivement et engendrant des conséquences sociales et financières d’une gravité exceptionnelle.
La mesure d’impact des actions de CRÉSUS, acteur de l’ESS, s’est révélée non seulement être un puissant moteur de croissance et de développement des partenariats, mais a permis symétriquement d’accompagner les transformations en cours dans la sphère bancaire et d’amortir ainsi le choc des évolutions sociétales en tenant compte de la fragilisation des parcours de vie de nos concitoyens.
Article publié dans "Jurisassociations" n° 588 - Novembre 2018
Auteur : Jean-Louis Kiehl, Président de la fédération française des associations CRÉSUS